21 Fév2017
Communication médiatique et enjeux africains de développement à la lumière de la pensée de Marcuse
Face aux nombreux défis de développement auxquels sont confrontés les pays d’Afrique, la communication et les médias doivent jouer un rôle essentiel en vue de soutenir les enjeux. La réalité est que ces outils qui s’inscrivent dans le fonctionnement du système capitaliste de profit et d’intérêts des États industriellement établis se retrouvent sur le continent africain, avec les mêmes formes sclérosées de manipulation que dénonce Herbert Marcuse. Mots clés : Communication-médias-fonctionnalisme-opérationnalisme-Théorie Critique Abstract : Given the many development challenges facing African countries, communication and the media must play a key role in supporting these matters. The reality is that these tools, that play an important role in the functioning of the capitalist system of profit and interests of industrially developed countries, are found in Africa, with the same sclerotic forms of manipulation as denounced by Herbert Marcuse. Keywords : Media – Communication- functionalism – operationalism – Critical Theory * Assistant-Université Peleforo Gon Coulibaly de korhogo, Département de philosophie Email : salifouamara@yahoo.fr INTRODUCTION Dans de nombreux pays africains, les crises qui ont eu lieu, ont été très souvent imputées aux médias et à un langage communicationnel guerrier, entretenu et orienté dans ce sens ; même si dans la réalité, l’ensemble ne pas accorder d’importance aux influences politiques et à certains intérêts locaux et internationaux qui entretiennent eux aussi, des rapports manipulateurs et destructeurs avec ce monde des médias et de la communication. Un triste exemple de cette réalité est celui de la fameuse « Radio Milles Collines » au Rwanda dont on dit qu’elle a été un des vecteurs monstrueux du génocide qui a endeuillé ce pays d’avril à juillet 1994 et qui a fait « un maximum de 800 000 et un minimum de 500 000 morts » (OUA, 2000 : 123). Ce qui pose le problème d’une forme de communication et de pratiques médiatiques savamment manipulatrices dont est victime le monde, qu’il soit industrialisé ou non. L’importance des dégâts que peuvent causer certains médias et une forme pervertie de communication semble évidente ; encore plus pour les sociétés, comme celles de l’Afrique où le taux d’alphabétisation demeure l’un des plus bas du monde1.Sans oublier que les instruments dont se servent ces deux sphères précitées appartiennent, dans leur conception, à un monde industriellement établi qui promeut une forme de domination technologique. Ce qui induit que l’Afrique soit durement frappée par la manipulation communicationnelle et médiatique aux mains de la technologie mondiale dont elle ne maîtrise aucunement les orientations de domination et d’exploitation capitaliste ; une situation catastrophique qu’elle doit pouvoir déceler et en sortir. Les radios, les télévisions, les journaux et Internet, semblent être des outils qui, aux mains de gouvernements aux desseins hégémonistes, de rebellions ou d’activistes en tous genres, servent à amplifier des fossés. Ces médias créent dans ces cas, des crises, là où l’Afrique semble avoir plus besoin, en tant que continent considéré comme industriellement moins avancé et donc moins développé, selon des standards internationaux, d’outils de bien vivre et de bien-être. Comment naît cette forme de manipulation médiatique et communicationnelle ? Quels sont ses impacts ainsi que ses origines ? La manipulation communicationnelle et médiatique ferme-t-elle, totalement, pour l’Afrique, les voies d’une libération possible, les perspectives de réels affranchissements et de développements véritables ? Faut-il imputer la majorité des crises qui ont lieu en Afrique aux médias et à la communication ? Ne faut-il pas y déceler les formes de pouvoirs rétrogrades qui sont en œuvre ? Comment s’en débarrasser ? Quelles orientations sont souhaitables afin d’avoir des médias et une communication qui répondent aux réalités africaines ? À la lecture d’Herbert Marcuse dont un important pan de la réflexion a été consacré à la manipulation communicationnelle et médiatique dans le contexte d’une administration techno-politique mondiale, nous essayerons d’apprécier, pour l’Afrique, les orientations possibles à explorer. Dans cette perspective marcusienne, il conviendrait pour la communication médiatique de valoriser les ressources dont dispose le continent dans un premier temps. Il consistera dans une seconde phase pour ce monde des médias, à promouvoir les réalités et les qualités du quotidien des Africains. Dans un troisième axe, il s’agira de faire en sorte que les activités communicationnelles et médiatiques s’inscrivent dans la perspective, pour les Africains, de proposer au monde, d’autres voies de développement plutôt que d’être des caisses de résonance du système standardisé de l’information 1. la majorité des pays d’Afrique ont un taux d’alphabétisation qui tourne autour de 50% ,là où les autres pays Occidentaux et Américains approchent les 100 %,(https://statistiquemondiales.com/ alphabetisation_afrique.htm, 2016), (https://fr.wikipedia.org, liste des pays par taux d’alphabétisation,2016), 4 mondiale. Pour Marcuse, en effet, la communication médiatique, débarrassée de ses artifices, peut véritablement jouer son rôle qui consiste à aborder les vrais sujets d’existence que vivent par exemple les populations africaines, dans la lutte quotidienne pour un mieux-être, tout en explorant les pistes d’un réel affranchissement. C’est bien pourquoi, de façon critique, nous aborderons les dangers de la manipulation communicationnelle et médiatique pour l’Afrique. Comment doit-elle en sortir ? Quelles perspectives le continent peut s’offrir dans la conception marcusienne en vue de garantir une forme communicationnelle et médiatique affranchie et humanisante I-LA MANIPULATION PUBLICITAIRE ET COMMUNICATIONNELLE Sous le vocable de communication, transparaît un ensemble de dérivées telles la communication politique, publicitaire, d’entreprise, médiatique, cybernétique, scientifique, d’art, interpersonnelle, intra personnelle, intrapsychique, groupale, etc. Cette première appréciation montre tout simplement le vaste champ qu’embrasse ce domaine. Ce qui fait dire à Daniel Bougnoux que « nulle part ni pour personne n’existe la communication. Ce terme recouvre trop de pratiques, nécessairement disparates, indéfiniment ouvertes et non dénombrables » (Bougnoux, 2001 : 7). Toutefois, on devra se rappeler qu’à l’origine, la communication signifie « « mettre en commun », puis « être en relation avec ». Communication provient de la même racine latine qui a donné « commun » (communis), « communiquer » (communicare, au sensd’être en relation avec, s’associer, partager), et « communication » (communicatio, le fait d’être en relation avec) »(https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication, 2016). S’en tenir essentiellement à la forme simple de cette définition étymologique, c’est ignorer certainement que la communication se situe dans un système technologique, auquel rien n’échappe, et auquel elle n’échappe donc pas. Ce système qui dirige le monde et qui est bien en phase avec une forme de conformité mondialisée de tout, a un mode opératoire et fonctionnel que permet bien à propos de bien saisir la pensée de Herbert Marcuse sur la forme manipulatrice de la communication et ses effets sur les sociétés peu avancées industriellement à l’exemple de celles de l’Afrique. Mais avant, il nous faut comprendre que « les conquêtes de la science et de la technique ont rendu théoriquement et socialement possible l’arrêt des besoins affirmatifs, agressifs. Contre cette possibilité, c’est le système en tant que totalité qui est mobilisé ». (Marcuse, 1968 : 10). Pire la société technologique a cette capacité de« …berner la population à l’aide de nouvelles formes de contrôle total ». (Idem : 11). Ainsi, grâce à la capacité technologique, toutes les formes d’opposition sont non seulement étouffées mais en plus, une forme illusoire d’existence est savamment mise en place pour faire admettre la réalité établie de la société de domination comme étant la seule possible. Dans ce dernier point, la communication, grâce à ses modes opératoires et fonctionnels, accompagnée par la publicité, est à profusion utilisée. Les pays africains, bénéficiaires de ce qu’elles peuvent considérer comme étant des prouesses technologiques des sociétés industrielles établies, sont malheureusement victimes d’un engrenage aux effets dévastateurs où manipulations publicitaires et communicationnelles, pour les consommateurs qu’ils sont, contribuent à la perpétuation d’un développement importé aux couleurs dominatrices de la société industrielle établie. Cette forme de domination se sert subrepticement, à propos, d’un de ses outils qu’est la publicité pour vendre ses produits, qu’ils soient bons ou non. Les pays africains étant déjà obnubilés par ce qui vient des superpuissances auxquelles ils veulent d’ailleurs ressembler. La publicité les aide véritablement à se maintenir dans cette illusion. A-La manipulation publicitaire Dans un sens général, la publicité, c’est le fait de rendre public. Toutefois, l’action publicitaire a pour objectif premier de vouloir vendre tout ce qu’elle présente au public, à la masse, que ce soit des objets physiques ou autres, quels que soient surtout les moyens utilisés. Plus précisément, le dictionnaire en ligne wikipedia note que « La publicité est une forme de communication de masse, dont le but est de fixer l’attention d’une cible visée (consommateur, utilisateur, usager, électeur, etc.) afin de l’inciter à adopter un comportement souhaité : achat d’un produit, élection d’une personnalité politique, incitation à l’économie d’énergie, etc. »(https://fr.wikipedia.org/publicité, 2016). Mais la vente ne saurait se fixer elle-même des limites puisque vendre plus qu’on ne l’espérait cadre tout à fait avec un des objectifs fondamentaux de la société industrielle établie. Il n’y a en ce sens, pratiquement, aucun espace atteint par les tentacules de la société industrielle établie qui ne soit sous l’emprise de la publicité abondante, envahissante et de sa communication agressive. Partout, dans les rues, à la maison, au travail, dans les rassemblements publics, dans les lieux de loisirs, de tristesse, dans la sphère intellectuelle, dans les zones les plus reculées du monde à l’exemple des sociétés africaines, dans la politique, la technologie moderne a réussi l’exploit d’orienter toutes ses activités à travers la manipulation publicitaire. Il suffit de regarder à chaque coin de rues, toutes ces affiches, ces panneaux, ces banderoles, ces enseignes lumineuses qui captent, qui figent l’attention des passants sur les nombreux produits qu’imposent cette société industrielle avancée, pour se rendre compte de l’impact publicitaire. En effet, c’est « la technique bien connue de la publicité, technique méthodiquement utilisée pour établir une image qui se fixe à la fois dans l’esprit et sur le produit, et qui facilite la vente des hommes et des choses ». (Marcuse, 1968 :116). Nous vivons et consommons quotidiennement ce que la publicité nous incite à consommer. Ce que cette même publicité suggère aux pays industriellement établis, c’est ce qu’elle suggère aussi aux pays africains industriellement moins évolués. Dans le premier cas, nous avons affaire à des pays de production de masse. Dans le second cas, des pays doublement livrés à la consommation. Les produits et les canaux de diffusions sont, en effet, plus aux mains des puissances dominatrices, que des États Africains. Ce qui perpétue évidemment la colonisation sous d’autres formes. Marcuse souligne, à propos, que « si l’ouvrier et son patron regardent le même programme de télévision, si la secrétaire s’habille aussi bien que la fille de son employeur, si le Noir possède une Cadillac, s’ils lisent tous le même journal, cette assimilation n’indique pas la disparition des classes. Elle indique au contraire à quel point les classes dominées participent aux besoins et aux satisfactions qui garantissent le maintien des classes dirigeantes » (Idem : 33). En effet, la société industrielle avancée a la particularité d’évoluer sous le couvert de la mode et de l’effet d’une suggestion pernicieuse pour obliger à la consommation de sa production de masse. C’est ce qui explique, par exemple, que la même société qui produit un certain nombre d’objet à une période donnée fait vite de les remplacer à une autre période par d’autres objets en s’appuyant sur le prétexte de la mode et de l’avancée technologique. Ce qui met du coup les consommateurs dans une situation à ne rien comprendre. Ont-ils consommé des produits qu’ils n’auraient pas dus ? Que leur réserve demain cette même société technologique qui vantait pourtant ces mêmes produits, mis dorénavant dans la sphère de ce qui est définitivement passé ? Niklas Luhman est, quant à lui, sans ambages et affirme que « la publicité cherche à manipuler ; elle ne travaille pas avec sincérité ; et elle présuppose qu’on le présuppose (…) L’attention consciente n’est requise que très brièvement de sorte qu’il ne reste pas de temps pour l’évaluation critique ou la décision réfléchie » (Luhmann, 2012 : 65). La publicité manipule ainsi à souhait le cognitif pour l’enfermer dans une sorte de tourbillon où il croit être encore maître de ses choix quand il est, en fait, esclave de ce qui lui est imposé grâce à des effets à la limite du soporifique. Disons que pour faire avaler la pilule, la société industrielle avancée, grâce à la publicité envahissante à travers des phrases « répétées de façon incessante et exclusive (…) » (Marcuse, 1968 :39), amène évidemment le consommateur à se conformer dans une sorte d’hypnose, à l’achat quotidien de tout ce qui est produit par cette société de production de masse. Ce qui explique bien évidemment que dans la majorité des sociétés africaines, les produits qui viennent du » Blanc » sont prioritairement les plus vantés et les produits locaux sont appréhendés avec suspicion. La raison est que les populations, parce que suffisamment conditionnées, se laissent totalement guidées par tout le système mirobolant mis en place par la société unidimensionnelle c’est-à-dire une société où domine le conformisme, la standardisation du mode, au cœur duquel est bien installé une technologie de domination. Tout ceci est entretenu par « (…) le langage berceur de la publicité selon lequel la technique est productrice de liberté » (Ellul, 1988 : 9). Ce qui se passe en réalité, c’est que les individus, sous l’influence de la société industrielle avancée, croient choisir leurs produits quand en fait, ils ne font que subir les effets de la publicité abondante et envahissante qui choisit à leur place. Ils croient s’adonner à leurs passions quand en réalité, on a fait de certains loisirs, leurs passions. Ils estiment s’habiller, se coiffer, se chausser, construire leurs maisons, acquérir leurs voitures, choisir leurs partis politiques ou leurs banques selon leurs goûts alors qu’ils ne font que suivre la mode constamment renouvelée de la société de production de masse. C’est peut-être ce qui explique que pour des individus pourtant censés être différents, précisément parce qu’ils sont des personnalités à traits particuliers, leurs réactions en tant que consommateurs, comme si cela avait été soigneusement planifié, sont quasiment standardisées. Marcuse peut en ce sens constater que : « le besoin de posséder, de consommer, de manipuler, de renouveler constamment tous les gadgets, appareils, engins, machines de toutes sortes qui sont offerts, et même imposés, aux individus, le besoin de s’en servir au risque même de sa vie, est devenu (…) « un besoin biologique » (Marcuse, 1969 : 29). On croit choisir ses biens alors qu’on est englué dans un monde de la marchandisation où communication et publicité ne nous laissent aucun choix dans le fond. Du fait de la prouesse fabuleuse de la manipulation publicitaire donc, les besoins changent complètement de signification grâce à un type de langage bien travaillé dans lequel il faudra accorder une place de choix à la politique communicationnelle et à ses deux appendices que sont les techniques de l’opérationnalisme et du fonctionnalisme. B- La communication opérationnelle Pour réussir sa manigance, la technique communicationnelle grâce à ses procédés opérationnels, fixe l’attention sur des cas mineurs et passagers au détriment des cas principaux et fondamentaux. Cela, pour biaiser les véritables revendications qui pourraient apporter un réel mieux-être à l’employé dans ses conditions de travail. Tout simplement parce que : l’« interprétation opérationnelle met en relation la formule générale employée par l’ouvrier avec l’expérience personnelle de cet ouvrier ; elle n’atteint pas le niveau où l’individu pourrait s’expérimenter comme étant « ouvrier », où son travail apparaîtrait comme « le travail » de la classe ouvrière » (Marcuse, 1968 : 135). Tout problème posé par un ouvrier ou un travailleur de n’importe quel secteur d’activité, est ramené à sa simple individualité et non conformément au travail qu’il effectue. Dans les domaines de la politique et de la culture, cette technique communicationnelle est aussi active. La politique est devenue un ensemble de discours techniquement bien monté et dont on attend du récepteur un type de réaction donnée. Les mots sont soigneusement choisis, le discours est “politiquement correct’’ pour plaire, ne pas frustrer, ne pas créer d’“ incidents diplomatiques’’.On se plaira par exemple dans les politiques africaines, à distiller les satisfecit de la Banque Mondiale ou du FMI. On publiera les indices de sécurité de l’Onu qui prouvent qu’on est dans des pays hautement sécurisés. On étalera les dons ou prêts d’États industriellement avancés pour montrer qu’on est des pays fréquentables tout en oubliant le poids des dettes contractées avec des intérêts insupportables. Il sera exploité à souhait les amitiés politiques avec les « Grands du monde ». Tout ceci dans le but bien précis de montrer que les peuples sous nos gouvernances sont plus qu’heureux. Pourtant, la réalité qui n’est un secret pour personne, est que les peuples africains, en général, vivent en majorité sous le seuil de la pauvreté et gagnent moins de 2 dollars par jour. Les pires formes de violence sont leur quotidien. Un autre indice de sous-développement permet de constater que l’Afrique ne repré- sente que 0,65% des dépenses mondiales(https://statistiques-mondiales.com, afrique.htm.2016). Pire, dans la sphère des décisions qui engagent le monde entier, le continent demeure le seul qui n’a aucun pays ayant droit de veto au Conseil de Sécurité de l’Onu. Dans une situation de sous-développement aussi réel, la communication opérationnelle, se donne le dessein avoué de noyer les réalités évidentes de pauvreté des populations par des artifices grossiers mais savamment orchestrés par un plan communicationnel. Marcuse peut, en ce sens, soutenir qu’« étant donné le monopole des mass media, qui sont de purs instruments du pouvoir économique et politique, il se crée un état d’esprit dans lequel le vrai et le faux sont déterminés à l’avance, pour tout ce qui touche aux intérêts vitaux de la société » (Marcuse, 1969 : 27). Il nous faut nous le rappeler chaque fois, tout organe, tout canal de diffusion d’informations est avant tout la propriété d’un ou de plusieurs intérêts. À ce titre, seuls ces intérêts déterminent d’avance ce qu’ils veulent nous faire retenir. C’est pourquoi comme un avertissement, « Marcuse écrit en 1954 que les technologies de communication provoqueront un processus de désublimation et qu’avec la télévision se développera un surmoi automatique » (Stiegler, 2011: http://www.paris-philo.com). Une inquiétude qui semble avoir pris forme, quand la communication, au lieu d’être l’expression des réalités quotidiennes, se mue en un creuset de langages et d’images soigneusement maquillés mais n’exprimant dans le fond que contradictions et faussetés auxquelles l’individu est commis à se soumettre. Un autre type de cette forme de communication manipulatrice est très présent dans les medias à travers ce que Marcuse appelle le fonctionnalisme. C- Le langage fonctionnel dans les médias Dans le même élan d’amalgame assez préjudiciable, la communication fonctionnelle crée un univers langagier assez artificiel qu’il impose dans le domaine politique à travers les instruments de la technologie. « Des termes qui désignent des qualités ou des sphères totalement différentes sont emprisonnés dans un tout solide et imposant » (Marcuse, 1968 : 118). Cela, pour certainement faire forte impression dans l’opinion et laisser une image préalablement bien étudiée dont on attend des résultats escomptés selon l’objectif qu’on s’est fixé. Là encore, les médias jouent leur rôle de séducteur ou de destructeur, selon ce qui est visé. Des groupes de mots, des définitions, des slogans, des attributions, des indexations, sont montés de toutes pièces pour designer des personnes, des communautés, des régions, des secteurs d’activités etc. Grâce à l’effet médiatique, à la puissance répétée et envahissante des ondes en plein siècle d’avancée technologique, de modernisme total, de lumières totalement resplendissantes, on construit des mythes qui sont plus proches des affabulations, de pièces grossièrement montées, d’intentions manifestement bien cachées que des véritables réalités. Des personnages politiques sont, dans ce sens, construits à desseins, sur la base de techniques médiatiques qui les encensent ou les défigurent. Des actes politiques, économiques, culturels, sociologiques, militaires sont peints, selon ce qui est visé, comme étant de réelles avancées alors qu’il s’agit tout simplement des régressions plus qu’inhumaines. Tout cela, sur la base évidemment, d’intérêts bien cachés. Un personnage politique peut se voir ainsi pompeusement attribué par un journal le titre de « l’homme fort de Georgie, le gouverneur aux sourcils bas (…) » (Marcuse, 1968 :117), quand un autre organe parle, lui, de « l’Académie libre des spécialistes de la guerre froide » (Idem, 118). Comme si une guerre où meurent forcément des gens peut être froide. La guerre c’est, quelle que soit sa forme, une prédisposition constante à l’affrontement, avec des schémas bien conçus à exécuter. Où se trouve donc là, le caractère libre de ceux qui seraient chargés d’une telle tâche ? Dans les pays africains, on aura ainsi droit à des titres de » Pères fondateurs de la nation », » sauveurs de la nation » « peuple béni », « pays de paix », » république démocratique », » libérateurs » etc. Des dénominations qui, bien évidemment, ne correspondent à aucune réalité. Un des exemples patents de cette pratique fut la politique de l’authenticité, introduite par Mobutu au Zaïre en 1971 selon laquelle les Zaïrois « devaient substituer à leur nom chrétien des noms africains « authentiques » (1972) et que les hommes qui souhaitaient rester dans les bonnes grâces du régime (en particulier les fonctionnaires) devraient porter un abacost (costume particulier au col modifié et sans cravate, introduit en 1973) et appeler leurs concitoyens non pas « Monsieur » ou « Madame », mais « Citoyen » ou « Citoyenne » (1974). Pour les femmes, des robes de style africain de trois pièces étaient obligatoires et les pantalons, strictement interdits. » (White, 2016 :http://www.erudit.org/revue/AS/2006/v30/n2/014113ar.html). Une politique dans laquelle Mobutu devrait certainement être le premier à ne pas croire surtout que l’histoire retient de lui, le prototype par excellence de toutes les formes de pillages que son pays a connu en relation avec les puissances les plus diverses aux plus immondes comme celle de l’Afrique du Sud de l’apartheid2. La réalité historique des pays africains, depuis l’esclavage qu’ils ont subi à partir du Moyen- Âge, est faite, en vérité, d’impérialisme, de colonialisme, d’indépendance octroyée à une grande majorité, de néo-colonialisme, de guerres avec des soutiens occidentaux, d’une économie encore contrôlée en de nombreux points par les maîtres d’hier et par des zones encore sous influences des cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est pourquoi, il convient clairement, dans la particularité du continent africain, au vu des nombreux défis qui sont les siens, de mieux apprécier le rôle que la communication et les médias devraient pouvoir jouer pour son développement. I-II- Communication médiatique et développement en Afrique dans la perspective marcusienne « Quand les gens ne se préoccupent plus des problèmes profonds, la philosophie doit être vigilante et active » disait le philosophe africain d’origine camerounaise Marcien Towa dans une interview accordée au site en ligne http://www.arts.uwa.edu.au (Towa, 2016). Les problèmes profonds concernent, bien évidemment, l’historicité de l’existence des Africains et les perspectives qu’ils pourraient en dégager selon les possibilités qui leurs sont offertes comme l’exprime 2. Dans la longue lutte de libération qu’a connue l’Angola entre 1978 et 2000, l’armée zaïroise était aux côtés de l’UNITA de Jonas Savimbi avec les forces de l’Afrique du Sud de l’apartheid ainsi que d’autres forces, américaines et portugaises entre autre, pour combattre la principale force angolaise, le mouvement de libération de l’Angola (MPLA) comme le rapporte FICATIER Julia dans les archives du journal La Croix du 05/09/1997 (http://www.la-croix.com/Archives/1997-09-05/Afrique-_NP_-1997-09-05-441325) la philosophie marcusienne. C’est en ce sens que la communication médiatique, en Afrique, doit être en phase avec les réalités de ce continent. A- Communication médiatique et réalités africaines Selon le dictionnaire philosophique Sciences, technologies et sociétés de A à Z, les « « médias » au pluriel renvoie à une série de moyens techniques utilisés dans les pratiques de communication et/ou de diffusion depuis le XIXe siècle : presse, photographie, cinéma, téléphone, radio, télévision, Web, etc. Au XXe siècle, les expressions « communication de masse » et « médias de masse » ont été utilisées pour rendre compte des phénomènes d’industrialisation de la communication et de la culture. » (Proulx, 2015 : 146). Les médias s’inscrivent donc dans le vaste chapitre de la communication avec des canaux de diffusion de la pensée, des activités ou de la culture. Pour la pensée critique à laquelle appartient Marcuse ainsi que l’ensemble de l’École de Francfort, les médias doivent assumer leur rôle de développement. Cela passe par un dépouillement des artifices mensongers au service de puissances capitalistes et par une réorientation de leurs activités conformément aux possibilités et perspectives qu’offre l’existence. La Théorie Critique est l’outil dont se sert la philosophie marcusienne pour parvenir à cette fin. La Théorie Critique a la double fonction de déconstruire les actions de manipulation et de domination aux mains des intérêts capitalistes de profits, de domination et d’explorer les possibilités de vies existantes, pourtant étouffées par un monde profondément enraciné dans le statu quo qui semble empêcher tout bond qualitatif. C’est ce monde de statu quo qu’il faut déraciner ainsi que ses soutiens, à l’exemple ici de la communication et des médias manipulateurs et statiques. Dans la conception marcusienne, en effet, « là où la factualité s’est installée au point de pervertir complètement l’essence humaine, la suppression radicale de cette factualité est le devoir absolu (…) Il ne s’agit pas seulement d’une crise économique ou politique dans la situation factuelle du capitalisme, mais d’une catastrophe de l’essence humaine » (Wiggershaus, 1993 : 98). En ce qui concerne le cas des pays Africains où toute cette catastrophe semble s’être réunie avec des famines, des guerres, des épidémies, des actes terroristes, le tribalisme, les détournements de biens publics, une défaillance judiciaire constante, un faible taux d’investissement, un système scolaire et universitaire empreint de difficultés de tous ordres, des partis politiques qui excellent plus que les sophistes au temps de la Grèce ancienne ; il est d’une évidence que les médias se refusent prioritairement de communiquer sur ses sujets de développement réels et se concentrent en majorité sur des cas inessentiels. Ceci nous convainc à l’idée que, comme le soulignent Chomsky et Herman :« les médias, entre autres fonctions, jouent le rôle de serviteurs et de propagandistes des puissants groupes qui les contrôlent et les financent » (Chomsky et Herman, 2008 : 9). L’identification de la réalité de la communication médiatique ainsi que ses soutiens occultes dorénavant dévoilées est un gain pour la Théorie Critique. Il s’agit, en effet, pour elle, dans les mouvements de changement qui doivent être engagés, de « favoriser celui qui représente un mouvement vers la vérité, d’empêcher celui qui conduit vers des modes d’existence périmés » (Marcuse, 1969 : 141).La Théorie Critique a donc pour principe de permettre l’éclosion des modes d’existence épanouissant tout en les dépouillant de toutes les formes avilissantes que des pseudo-ré- flexions à l’exemple de celles inscrites dans la manipulation de la communication médiatique, veulent continuer par exemple de les maintenir dans le contexte africain. On devra se rappeler une fois de plus que « l’identité d’un peuple ne se fait que par cette puissance, c’est-à-dire par cette capacité qu’il a de répondre à toutes les questions et à toutes les situations qui peuvent se présenter dans sa vie ». (Triki, 2004 : 74). Les médias et à la communication devraient, avec les ressorts qui sont les leurs et les réalités des populations, permettre aux pays africains de faire face aux enjeux du véritable développement. B- Les possibles changements dans la communication médiatique et le développement de l’Afrique. Ces changements s’inscrivent dans la lutte unifiée. Celle-ci consiste à réunir toutes les forces de changement face aux forces rétrogrades d’intérêts et de profits capitalistes. C’est une lutte dans laquelle, la philosophie, en tant qu’actrice pour l’avènement de valeurs humanitaires, généreuses et éthiques, se sent interpelée constamment. Cette lutte unifiée concerne tout le monde. Elle concerne l’ensemble des différents secteurs d’activités touchées par la propagation du non-être dont se font écho les médias, à commencer par les hommes et les femmes des médias, en tant que membre aussi de cette société africaine qui ne cesse d’être tirée vers le bas. Les réalités de souffrance, d’exploitation, de domination, de pauvreté ou d’injustices sont légions dans nos différentes sociétés, encore plus dans celles du continent africain, pour ne pas en faire la principale préoccupation. « Prenons un exemple (malheureusement fantastique) : si simplement il n’y avait plus subitement de publicité et d’endoctrinement dans l’information et dans les loisirs, l’individu serait plongé premièrement dans un vide traumatisant, puis il y trouverait la possibilité de se poser des questions et de penser, de se connaître lui-même (…) ainsi que sa société » (Marcuse, 1968 : 269). L’ancienne pensée toujours actuelle de Socrate, « connais-toi, toi-même » demeure ainsi d’actualité pour les Africains. La communication médiatique est censée faire connaître les réalités africaines telles qu’elles sont réellement et non telles qu’elles sont chaque jour caricaturées. Se connaître soi-même pour le continent africain, c’est par exemple dénoncer par la communication et les médias, cette forme d’oligarchie politique qui se maintient dans la plupart des pouvoirs. C’est s’offusquer de la précarité énorme qui frappe sa jeunesse et les femmes, qui constituent pourtant la frange la plus importante de sa population. Il devrait s’agir aussi d’occuper les Unes des journaux, des télévisions ou des radios par la triptyque de l’éducation, de la santé et de la sécurité, qui sont les droits minimum pour toute population et qui pour les Africains en général, constituent encore des droits de luxe. Un sacerdoce que rappelle le Pape Jean Paul II aux journalistes le 4 juin 2000 lors de la célébration de la journée que l’Église catholique leur consacre ce jour selon Associated Press et rapportés par Bill Kovach et Tom Rosentiel dans leur ouvrage au titre évocateur, » Principes du journalisme. Ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger « . Le Pape Jean Paul II dit ceci aux journalistes : « avec son influence immense et directe sur l’opinion publique, le journalisme ne peut pas uniquement obéir à des forces commandées par l’économie, la recherche du profit ou l’intérêt particulier. Il doit au contraire être assumé comme une mission qu’on peut, en un sens, qualifier de sacrée, accomplie en ayant pleinement conscience que les puissants moyens de communication dont vous disposez vous ont été confiés pour servir le bien général »(Kovach et Rosentiel, 2004 : 15). Le public, les populations ont en effet le droit d’exiger car ce sont bien de leurs vies que les médias et la communication sont en train d’en faire un jeu. « Dans la pratique communicationnelle quotidienne, les interprétations cognitives, les expectatives morales, les expressions et les évaluations doivent, de toutes façon, s’interpénétrer » (Habermas, 1986 : 39). Il s’agit donc de ramener le tout, de parler de tout ce qui est essentiel, au lieu de se limiter à l’éparpillement. On ne peut raisonnablement traiter la société en des points et ignorer les autres points qui la constituent. C’est certainement, cette envie de combler ce déficit qui accroit de plus en plus le pouvoir des réseaux sociaux sur le continent, eux grâces auxquels les jeunes, les femmes et les populations dans toutes les couches sociales, ont droit à la parole pour aborder tous les sujets de leur quotidien. En effet, les réseaux sociaux constituent de plus en plus pour les populations africaines, les jeunes en majorité, une occasion de se faire entendre, là où on semble leur refuser toute parole. Ils réussissent d’ailleurs à se faire entendre comme ce fut le cas lors des attentats terroristes de Ouagadougou au Burkina-Faso le 15 janvier 2016 et de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire le 13 mars 2016 qui ont fait 50 morts environs et qui n’ont été traitées que par les télévisions dites internationales et les utilisateurs de Facebook ou Twitter en particulier, au moment des faits. Pendant ce temps, les deux télévisions nationales de ces pays, la Radiodiffusion Télévision du Burkina-Faso (RTB) et la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), censées être les premières sources d’information dans des cas d’une telle gravité, sont restées muettes, alors que se perpé- tuaient les tueries. Les réseaux sociaux ont dénoncé ce dénie d’information face à la préoccupation des populations en ce moment-ci. La RTB a présenté ses excuses, le lendemain des attaques. La RTI a limogé, quelques jours après les tueries, son directeur chargé de l’information. Un autre exemple d’une telle influence des réseaux sociaux s’était déjà produit en 2010 en Tunisie avec ce qu’on a appelé l’affaire « Mohamed Bouazizi ». En Tunisie, en effet, « Internet en tant qu’espace alternatif difficilement contrôlable, a permis à de nombreux Tunisiens connectés de découvrir – images à l’appui – les événements qui secouaient d’autres zones du pays, partager les informations avec leurs contacts, mettre en commun un «mécontentement grandissant » (Lecomte, 2016 : https://anneemaghreb.revues.org/1288).De son vrai nom Tarek Bouazizi , ce jeune vendeur ambulant Tunisien, s’est immolé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, une ville Tunisienne, parce que les autorités avaient confisqué injustement son matériel de travail. Ce qui constituera le déclic du mouvement contestataire qui sera relayé par les réseaux sociaux pour faire tomber l’Etat de répression du Président Zine el Abidine Ben Ali en Tunisie, seulement moins d’un mois après, soit le 14 janvier 2011. La maxime à tirer de ces trois situations dramatiques en terme de couverture médiatique, c’est qu’il faut se faire désormais à l’idée que « À un niveau mondial, l’Internet devient le lieu de toutes les contestations libertaires et anti-impérialistes » (Engelhard, 2012 :15). Pour les Africains, ce sont bien évidemment la mise en mal continuelle des processus de démocratisation avec un sentiment de néocolonialisme avéré pour un continent qui n’était pas longtemps encore sous le joug de la colonisation qui sont dénoncés. Les jeunes mais aussi tous les corps de métiers des populations africaines ont donc un devoir d’influer sur le traitement que les médias et la communication devraient réserver à leurs conditions d’existence en vue de son amélioration. À propos du devoir des intellectuels africains, Barthélemy Kotchi affirme en ce sens que « la responsabilité d’un véritable intellectuel se définit par sa faculté d’être utile à la nation, plus concrètement à son peuple en se servant de boussole par son comportement exemplaire » (Kotchi, 2010 : 66). On ne peut raisonnablement donc se plaindre de la situation alarmante des États africains en général, si on laisse prospérer la communication et les médias selon leur propre traitement des sujets, selon les intérêts qui tirent les ficelles tout en leur reconnaissant ce fameux quatrième pouvoir qu’ils constitueraient. S’il devait en être ainsi, ce serait aussi une prime au statut quo de la domination des puissants et du maintien dans l’ignorance de l’exploitation. Les médias Africains ont un devoir de dénoncertoutes les formes de domination pour ne pas se rendre complices des bourreaux, pour briser les chaînes de la perpétuation de la souffrance, au péril même de leurs vies afin de sauver toutes les vies. C’est une forme de rébellion pour arrêter l’hémorragie de la gabegie et non pour faire des victimes innocentes. Pour Marcuse, « cette rébellion fondamentale, cette révolte implique un programme social, à savoir la conscience que la société a créée ne peut s’édifier selon le schéma des nations possédantes qui perpétuent la servitude et la domination » (Marcuse, 1971 : 179). Cette rébellion est fondamentale car elle traduit les sentiments essentiels d’existence. C’est au nom de ce sentiment par exemple que Norbert Zongo, un journaliste burkinabé, dans sa quête de dénoncer la mort criminelle du chauffeur au frère du Président du Burkina-Faso sera tué, calciné dans sa voiture avec trois de ses compagnons le13 décembre 1998par | le |
régime de Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987. Ce qui | « a provoqué un profond séisme |
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